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Par spleen
Sauvageries : de quel coté se situent-elles ?
Pour une fois, voilà un récit qui prend le contrepied des écrits glorifiant les conquêtes et en particulier celles de Christophe Colomb .
Lors de sa première expédition , il débarque sur une ile des Grandes Antilles qu'il baptise Hispaniola , alors qu'elle avait déjà un nom , où vit le peuple Taïno . Taïno veut dire Homme bon , nous sommes loin des "sauvages cannibales " et d'ailleurs Christophe Colomb décrit un peuple pacifique .
L'histoire est vue à travers les écrits de Taïna, une femme chamane ,une des rares survivantes après ce qu'il faut bien appeler un génocide .
Elle raconte l'histoire de son peuple , leurs coutumes et leur rites, leurs danses et leurs chants, la vie simple et joyeuse de ces femmes et hommes qui vivent nus au milieu de la nature généreuse . On imagine facilement l'Eden , la violence est absente et ils ont réussi à contenir les incursions d'autres peuples indigènes .
Du fait de sa formation de chamane, "behique" dans le langage taïno, faite par Maa, Taïna communique avec les esprits et perçoit des signes qu'elle doit interpréter et se servir à bon escient .
L'arrivée des espagnols fissure cette harmonie , d'abord lorsque Christophe Colomb quitte l'ile, il y laisse 39 hommes dans un fort et si les premiers contacts ont été pacifiques, l’appât de l'or, la proximité des femmes , la nécessité de se procurer des vivres dans ce pays inconnu, entrainent rapidement des actes violents .
Les Taïnos sont divisés sur les actions à mener : fuite ou combat .
Les espagnols du fort sont attaqués et seul Diego , blessé , échappe à la mort grâce à Taïna qui en devient amoureuse , peu à peu ils parviennent à échanger sur leur culture et leurs idées.
Même si Diego adopte le mode de vie des indigènes , l'arrivée d'autres caravelles et l'installation de colonies espagnoles marque la fin de l'époque heureuse.
Réduits à travailler pour les colons, exterminés par les maladies et les violences, la torture, ainsi que le vol et la destruction de leurs terres, les Taïnos ne sont plus qu'un semblant de peuple appelé à disparaitre, en plus , le doute s'est insinué en eux , une graine de violence a également grossie et plus rien ne sera comme avant.
C'est pourquoi,le Dominicain Bartolomé , lucide sur ce qui va arriver, incite Taïna à raconter l'histoire de son peuple pour garder le témoignage de leurs croyances, de leurs modes de vie et de l'extermination dont ils ont été l'objet.
"J'étais bien moins savante que Bartolomé, mais depuis qu'il m'avait donné à lire une partie de son futur livre, je comprenais qu'il me faudrait raconter mon peuple avant leur arrivée; et même si j'écrivais dans une langue qui n'était pas la mienne, je ne pourrais pas faire d'erreurs sur qui nous étions, sur nos vies de chaque jour, nos croyances . "
C'est ce manuscrit qui est apparu comme une évidence pour Frédérique Deghelt à la mémoire de tous les peuples dont on a nié la préexistence sur les terres colonisées.
" S'approprier l'effroi . Être la peur. Naviguer dans ce qui tue les autres vous place au delà de la mort dans un lieu où les vivants ne peuvent ni mourir ni vivre . Mais un lieu où on peut encore écrire, mettre en mots cette peur et ce qu'elle génère pour qu'un jour ceux qui liront comprennent, pardonnent, dévoilent et changent le cours des choses ."
Même si la description de la vie des taïnos m'a paru au début du roman un peu trop idyllique, ce qu'on a pu appeler "les bons sauvages " , la volonté de l'autrice de rétablir le véritable visage de la sauvagerie de l'appropriation des terres et la disparition de ceux qui y vivaient avant mérite des louanges.
Je remercie vivement Masse Critique et les Éditions Actes Sud .
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