Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 12:17
Là où fleurissent les cendres de Phan Qué Mai Nguyen

Phan Qué Mai Nguyen , à partir d'interviews qu'elle a réalisé dans le cadre d'un article , décrit le devenir d'enfants nés pendant la guerre du Vietnam d'un soldat américain et d'une femme vietnamienne .

Pour cela elle a choisi trois situations bien marquées à deux époques .

Phong , un amérasien dont le père était un soldat noir , tente une nouvelle fois d'obtenir un visa pour sa famille et lui pour partir aux États Unis où il pense que ses enfants auront plus de chance pour un avenir correct . Mais l'obtention , 40 ans après la guerre est devenue beaucoup plus difficile et des preuves , un test ADN et la recherche de son père sont exigés avant de délivrer le fameux sésame .

Phong revient sur ses années d'enfance où il a été recueilli par une religieuse dans un orphelinat à Saïgon, puis à la mort de celle-ci ,devenu un paria , une "poussière d'individu " , ne pouvant cacher son métissage , il a survécu dans les rues en chapardant puis en faisant des petits boulots jusqu'à retourner à la campagne cultiver la terre . Harcelé par les autres enfants lorsqu'il était jeune , son apparence physique qu'il a transmis à ses enfants est toujours un obstacle dans le Vietnam des années 2015, figure vivante de l'ennemi haï par le régime communiste en place depuis la guerre, comme tous ceux qui n'ont pas réussi à quitter ce pays.

Dan est un vétéran de cette guerre du Vietnam, pilote d'hélicoptère à l'époque , il est rentré comme nombre de ses compatriotes traumatisé par ce qu'il a vécu, fait ou vu. C'est son premier retour la-bas et il est accompagné de sa femme Linda. Ce que Linda ne sait pas  c'est qu'il a entamé des recherches pour retrouver Kim , la jeune femme vietnamienne avec qui il a vécu quelque temps et qu'il a abandonnée alors qu'elle attendait un bébé .

La troisième situation est celle vécue en 1971 par Trang et sa soeur Quun , les deux filles d'un couple de paysans endettés et qui vont partir à Saïgon, convaincues par une amie qui leur propose un travail bien payé dans un bureau . Bien entendu , ce sera un emploi dans un bar, le Hollywood , fréquenté par les soldats américains . Elles n'ont pas vraiment le choix, prennent un prénom plus facile à retenir , ce sera Kim pour la jeune Trang .

Les histoires sont bien bâties, le récit est cohérent et les décisions des uns et des autres aux différentes époques sont décrites avec doigté . Pour moi, le sentimentalisme que l'écrivaine a choisi pour relater ces situations est trop présent , c'est ce qui explique ma note qui pourra être jugée trop sévère .

J'ai tout de même été particulièrement intéressée par l'histoire de ces nombreux enfants nés pendant cette guerre,  métis dont l'aspect physique ne pouvait être assimilé à de "vrais vietnamiens " et qui ont été ostracisés dans leur pays de naissance . Ceux qui ont pu rejoindre le pays de leur géniteur n'ont pas eu, non plus, une vie forcément plus simple ,

Lu en Février 2024.

Repost0
13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 16:56
Les ombres d'Oak Island de Wiley Cash

En 1984, Winston Barnes , shérif de Oak Island,  en Caroline du Nord , est réveillé par le bruit d'un avion . Intrigué , il va voir ce qui se passe et découvre alors le cadavre d'un homme et un avion cargo abandonné en bout de piste.

L'homme tué par balle est le fils d'un professeur noir , Ed Bellamy que connait Winston.

Les élections pour le nouveau shérif ont lieu dans 8 jours et un promoteur ambitieux, raciste et sans scrupule , Bradley Frye, veut la place de Winston.

Pour le shérif, cette affaire est quitte ou double pour sa réélection mais le FBI débarque et Winston est relégué aux tâches subalternes sauf qu'il connait la région et ses habitants .

Persuadé qu'il s'agit d'une affaire de drogue dans laquelle est impliqué Rodney Bellamy, Bradley harcèle la famille , leur faisant revivre les années les plus sombres du Ku klux Klan .

Le scénario de ce roman policier est plutôt classique mais l'intrigue passe en second plan après la description soignée des personnages : la lassitude de Winston devant le peu d'effectifs qu'il a avec lui mais son obligation morale d'être réélu , d'une part pour ne pas laisser un homme comme Bradley prendre le pouvoir et chasser la communauté noire et d'autre part pour pouvoir continuer à payer les frais médicaux de sa femme Mary atteinte d'un cancer. Sa vie de famille se complique lorsque sa fille Coleen arrive chez ses parents n'arrivant pas à surmonter la perte de son bébé .

Winston, homme intègre, arrivera t'il à retrouver l'assassin et la cargaison de l'avion ?

La fin de l'histoire peut surprendre mais est logique ...

Wiley Cash écrit avec sensibilité , s'attachant à montrer les failles de cette société américaine où la discrimination est toujours vive dans ces années 1980 mais également ceux qui luttent comme ils peuvent et demeurent de bonnes personnes  malgré les pressions exercées.

J'ai bien aimé ce coté là !

 

 

Repost0
12 février 2024 1 12 /02 /février /2024 09:47

Flower Power: c'est d'abord l'exposition récente au Musée Impressionniste de Giverny suivant un parcours thématique sur la représentation de la fleur dans l'Art de l'Antiquité à nos jours et cet ouvrage en est le catalogue d'exposition.

Flower power fait référence au mouvement hippie pacifiste surtout américain dont il était le slogan dans les années 1960 et 1970 . Il est représenté ici par les célèbres photos de Marc Riboud et de Bernie Boston montrant des jeunes gens brandissant des fleurs face aux fusils des militaires .

Même si l'exposition n'est pas essentiellement centrée sur ce thème, c'est dire la volonté de montrer l'importance de la représentation des fleurs dans l'art et également toute l’ambiguïté de leur signification.

En commençant par les mythes antiques , elle déroule les époques mais aussi les différentes formes de représentations : peintures, gravures, sculptures, tapisseries , photographies sans oublier la mode en particulier avec Yves Saint Laurent .

La signification des fleurs est également évoquée avec la dualité qu'elle représente dans la religion, en politique comme dans l'esprit populaire .

Le livre commence par un texte essentiel à la compréhension , rédigé par Cyrille Sciama et Valérie Reis intitulé : "Quand les fleurs inspirent l'art" , présentant les œuvres et leur thématique . Ce texte est essentiel pour bien percevoir toute l'originalité de cette exposition et sa finalité même si l'envoi sur les différentes œuvres est parfois laborieux ...

Les illustrations sont ensuite classées par thèmes associés à quelques citations et textes courts .

D'autres écrits sont en fin du livre , reprenant parfois ce qui a déjà été dit auparavant ou insistant sur certaines particularités comme par exemple Baudelaire avec "Les fleurs du mal " ou la représentation féminine dans les fleurs avec le texte "La Fleur du sexe" .

Cet ouvrage est donc survol de cette exposition qui m'a fait regretter de ne pas aller la contempler de visu mais qui permet à travers les œuvres choisies dans le livre de mieux appréhender le but voulu par ceux à l'origine du projet à Giverny.

Les illustrations sont agréables à regarder , souvent en pleine page, parfois en double page avec les légendes correspondantes claires .

Un grand merci à Masse Critique et aux Éditions Réunion des musées nationaux .

 

 

Repost0
10 février 2024 6 10 /02 /février /2024 10:33
Border la bête de Lune Vuillemin

Une jeune femme se retrouve par hasard sur le lieu de sauvetage d'une femelle orignale tombée dans l'eau glacée d'un lac .

C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Jeff et d'Arden , deux personnes qui recueillent et soignent les bêtes sauvages de cette région de lacs de l'Ontario.

Marquée par l'efficacité des gestes , même si l'animal ne survit pas,  par la tendresse que prodigue Arden au corps sans vie de la femelle et la douleur muette devant leur échec, elle leur propose de rester et de les aider.

Elle porte dans son sac à dos les cendres d'un homme qu'elle considérait comme son père et dans son cœur l'immense chagrin et le vide de sa mort .

Avec Jeff, elle parcourt les chemins le long de la rivière Mutine et ils débutent un herbier des sons .

Les descriptions de la nature sont époustouflantes, poétiques et entrainent le lecteur vers des rivages parfois étranges .

La communion avec l'hiver puis le printemps est intense, les rapports avec les animaux sauvages sont respectueux , l'homme est mis au même niveau sans s'imposer .

J'ai beaucoup aimé le début du roman , je lui attribuais facilement 5 étoiles mais l'histoire d'amour qui s'en suit a modifié mon ressenti, je ne l'ai pas trouvé indispensable, elle fait bifurquer les sentiments qui deviennent centrés plus sur l'humain que le reste et j'ai trouvé cela fort dommage !

Repost0
7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 15:30
Ma vie de cafard de Joyce Carol Oates

Violet Rue est la dernière de la fratrie de sept enfants de la famille Kerrigan. Ils habitent dans une petite ville de l'État de New-York .

Dans les années 1970, les frères ainés de Violet renversent volontairement un cycliste et le rouent de coups simplement parce qu'il est noir et qu'ils ont bu. Une fois rentrés chez eux, ils nettoient leur voiture et enterrent sommairement la batte de base ball qui a servi d'arme . Seulement, ils sont loin de se douter que Violet , 12 ans, les a vus .

Le jeune garçon décède de ses blessures. L'enquête piétine jusqu'à ce que Violet méchamment poussée par un de ses frères , se blesse et avoue ce qu'elle a vu au principal de son collège .

Bien sûr, les frères sont arrêtés et envoyés en prison . Mais Violet est bannie de chez elle , rendue responsable de l'arrestation de ses frères et elle est envoyée chez une tante,.

Elle espère pouvoir retrouver son foyer et souffre , elle n'est pas en état d'accepter l'amour de sa tante ou de se faire des amies  ...

Ce roman , plutôt poignant, ouvre le débat sur plusieurs points : le sens critique, d'abord , avec le refus du père, un homme sévère , brutal avec ses enfants, surtout les garçons , de reconnaitre la culpabilité de ses fils même devant les preuves . Dans la famille Kerrigan, on se sert les coudes et on reste uni avant tout et devant les autres , donc c'est l'effondrement du schéma paternel .

Cela pose également la question du pardon : qui doit pardonner à qui. Violet, à juste titre pour le lecteur est injustement chassée et attend que ses parents et surtout son père dont elle était jusque là la préférée lui demandent pardon . Alors que pour sa famille, c'est par elle que le déshonneur est arrivé et que c'est à elle de faire sa contrition . Les Kerrigan sont catholiques et la religion compte beaucoup, surtout pour la mère . Les actes de confession sont un passage obligé pour les enfants qui ne perçoivent pas forcément la nature des péchés . Ça ne vous est pas arrivé d'être dans le confessionnal quand vous étiez petits, je parle de la même époque, années 1970 et de ne pas savoir quoi dire au prêtre, dont l'haleine à travers cette mince paroi ajourée de bois était souvent désagréable...

Bref, Violet, désemparée par ce rejet n'a pas  le discernement vis à vis des mauvaises personnes qu'elle rencontre et qui lui font du mal:  peur de nouveau d'être mise au pilori , c'est la honte de tellement de femmes violentées qui n'osent pas parler ou qui minimisent les actes. Ses choix sont souvent mauvais et l'obligent fréquemment à fuir . Ces fuites répétées sont le miroir de sa vie : un labyrinthe pour retrouver l'amour familial .

Hasard de la vie, j'ai regardé peu après ma lecture le film de Jeanne Herry : Et je verrai toujours vos visages . Un film sur la justice restaurative  assez stupéfiant et qui vient en miroir de ce roman parler de colère et d'angoisse, de peur qui colle à la peau des victimes et aussi de la prise de conscience des agresseurs . On sent tout le travail effectué par chaque personne pour se reconstruire et j'aurai tant désiré la même démarche pour Violet Rue , l'aider , la rassurer et lui offrir une existence plus heureuse !

Repost0
3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 17:09
Incandescentes d'Hannah Kent

En 1836, dans un petit village de Prusse, vivre sa foi est devenue difficile pour les vieux-luthériens , des protestants rigoristes, leur église est fermée et ils doivent se réunir en secret dans la forêt pour célébrer leur culte.

C'est là que vit Hanne, une jeune fille qui se sent exclue du cercle des autres jeunes filles de son âge et elle supporte mal la rigidité des tâches incombant aux femmes .

Elle et son frère jumeau , Matthias se sentent mal-aimés de leurs parents et Hanne s'enfuit souvent dans la forêt, elle entend les arbres chanter et les considèrent comme ses seuls amis.

Un jour de brouillard, elle fait la connaissance de Thea , une jeune fille de son âge dont la famille vient d'arriver au village.

D'emblée, entre les deux filles c'est l'étincelle et une profonde amitié nait et s'enracine . Ce sont vraiment deux âmes sœurs qui se comprennent et s'aiment.

Coup de tonnerre au village, l'autorisation est enfin donnée à la communauté protestante de pouvoir s'exiler et fonder son église . Pour eux , ce sera l'Australie.

IL faut tout quitter, les préparatifs sont fébriles , l'arrachement à leur pays d'origine est dur mais l'espoir est fort leur permettant de supporter, pensent-ils le long voyage de 6 mois en bateau .

Tempêtes, avaries, promiscuité, pénurie d'eau et maladies rendent leur traversée éprouvante et les morts clairsèment les familles . 

Celles de Hanne et Thea ne sont pas épargnées alors que l'amour entre les deux amies se renforcent.

Fin de la première partie .

Et là, au début de la partie suivante,  le choc , avec un récit qui devient beaucoup plus onirique , surnaturel puisqu'il est raconté par un fantôme , une âme errante.

Lors de l'arrivée des vieux -luthériens en Australie , des terres leur sont octroyées, ce sont celles du peuple primitif Peramangk qui sont plutôt accueillants , aidant même les nouveaux arrivants à survivre à l'hiver en leur montrant les sources de nourriture .

Il se greffe dans le récit une accusation de sorcellerie contre la mère de Thea, Anna Maria qui est sage-femme et guérisseuse .

Ce soupçon , accentué par la jalousie poursuit cette femme et retentit aussi sur sa fille avec des conséquences qui vont être dramatiques .

Si j'ai été assez intéressée par  le coté historique véridique entre l'expulsion de ces gens liée à leur pratique religieuse et la dépossession des terres des autochtones , oh combien habituelle sans que cela soit un problème , ce n'est pas vraiment le sujet principal  de ce roman plus axé sur cet amour entre Hanne et Thea au delà du réel , je n'ai  pas une attirance pour le surnaturel et les fantômes , cela ne m'émeut pas , je dois l'avouer  ...

J'avais beaucoup plus apprécié @À la grâce des hommes lu en 2014.

Je remercie Masse Critique et les Éditions Presses de la cité

Repost0
31 janvier 2024 3 31 /01 /janvier /2024 14:07
Le royaume enchanté de Russel Banks

En 1971, Harley Mann, octogénaire , vivant à St Cloud en Floride se décide à enregistrer les événements qu'il a vécu dans son enfance et sa jeunesse dans cette région , alors qu'il revient de l'inauguration du Parc de loisirs   de Walt  Disney , le Magic Kingdom ...

Ses parents faisaient partie de la communauté des Ruskinites , adeptes de la doctrine anti-capitaliste d'un certain John Ruskin lorsque son frère jumeau et lui sont nés . Ont suivi deux autres jumeaux puis , plus tard, une petite Rachel.

Lorsque son père meurt de maladie, sa mère part avec ses enfants dans une plantation Rosewell, pensant y trouver un refuge et un travail correct mais la famille se retrouve au milieu des anciens esclaves noirs à travailler dans les champs comme au meilleur temps de l'esclavage avec un salaire n'arrivant pas à compenser ce qui est retenu pour le minimum de survie : logement, nourriture et vêtements.

Les conditions de vie sont terrifiantes et l'avenir bien sombre .

Grâce à l'intervention sollicitée par la mère, la famille peut rejoindre la communauté des Shakers dans un domaine appelé La nouvelle Bethanie en Floride.

Contrairement aux Ruskinites , ce mouvement pratique un prosélytisme religieux intense et un endoctrinement permanent avec des règles d'austérité  strictes et une abstinence sexuelle complète . Les hommes et les femmes sont séparés , les enfants dès qu'ils sont sevrés sont enlevés à leur mère .

Pour la famille Mann, l'arrivée dans ce qui se veut d'ailleurs être un royaume enchanté, cela ressemble à un paradis et c'est comme cela que le ressent Harley même s'il n'est et ne deviendra pas croyant.

Le travail est  indispensable mais l'exploitation sous l'habileté et l'intelligence des Ainés, l'Ainé John et l'Ainée Mary est tout à fait rentable .

Harley fait la rencontre qui va changer non seulement sa vie mais celle de toute la communauté d'une jeune femme, Sadie, soignée pour tuberculose dans le sanatorium dont s'occupe l'Ainée Mary .

Il en tombe éperdument amoureux. C'est cet amour interdit , d'abord unilatéral et chaste mais qui va se transformer qui conduit à la fin de la Nouvelle-Bethanie.

C'est le dernier roman de Russel Banks, décédé il y a un an. Il y aborde le sujet de la collusion entre mouvements religieux sectaires et capitalisme , une hypocrisie évidente ainsi que la main-mise des chefs sur leurs ouailles, leurs biens, leurs enfants, leurs pensées  . Les shakers pratiquant la totale abstinence même chez les couples mariés avaient besoin de recruter pour pouvoir continuer de prospérer , les adhésions devenant de plus en plus rares, le mouvement a périclité .

L'auteur , par l'intermédiaire des actes de Harley se penche aussi sur la notion de liberté et de discernement .

Harley croit détenir sa vérité mais elle est confrontée à celle de l'Ainé et des autres membres de la communauté puis à celle que chacun croit connaitre  . Déjà la diffusion par la presse écrite de nouvelles fausses ou tronquées pouvait dès cette époque  rejeter , à tort ou à raison, une personne . Que dire de ce qui se passe actuellement ...

Un excellent roman .

Je pensais avoir déjà lu un livre de cet auteur mais cela devait être dans une autre vie , je vais réparer cela !

 

 

Repost0
29 janvier 2024 1 29 /01 /janvier /2024 10:27
La femme sauvage de Jeroen Olyslaegerst

Au XVI eme siècle, Anvers est une ville prospère , arrivée au moment du récit à son apogée , gouvernée par la sœur du roi Philippe d'Espagne et où se côtoient papistes, luthériens et calvinistes dans une tolérance apparente mais superficielle, .

Beer est propriétaire de l'Auberge de l'Ange . C'est un homme marqué par le décès de ses trois femmes et seul l'enfant de la dernière a survécu, Ward .

Dans le début de la première partie, intitulée l'Homme sauvage , le lecteur survole les années brèves des trois mariages de Beer , il se sent maudit mais le visage des mortes s'effacent peu à peu .

"Le remords est la première porte du deuil, ai-je appris, et cette porte s'ouvre sur un couloir long et étroit qui semble interminable et qu'il faut traverser, qu'on le veuille ou non. "

Rapidement, l'histoire dévie sur les fréquentations de l'aubergiste : gens de tout bord politique ou religieux , nobles , philosophes , imprimeurs, libraires et marchands se succèdent et viennent discuter, batailler ou s'épancher . Beer reçoit respectueusement ses hôtes en fonction de leur importance et en premier lieu ceux de la Famille de l'Amour, sorte d'association de notables dont les motivations ne sont pas toujours charitables mais souvent mercantiles.

Circulent également à l'auberge des ouvrages interdits considérés comme blasphématoires .

D'ailleurs il héberge un anglais, John Dee, qui rédige un livre de dialogue direct avec Dieu et les Anges.

La religion et surtout le rapport permanent avec Dieu est omniprésente dans ce roman mais ce n'est en aucune manière du prosélytisme . Il faut y voir plus le poids des différentes croyances pesant sur les gens de ce siècle avec l'importance des réformes protestantes , en particulier aux Pays Bas  et le poids du catholicisme imposé par les Espagnols. Il persiste , comme dans d'autres pays et d'autres époques jusqu'à la notre des rites païens , en particulier autour de la fin de l'hiver, et c'est là qu'intervient l'Homme sauvage joué par Beer dans une fête annuelle d'Anvers .

" Pour moi, l'Homme sauvage que je ressuscitais chaque année à la Chandeleur était peut-être même notre véritable forme à tous, le passé immémorial qui nous reliait tous . "

La vie de cette époque est également bien évoquée , avec , en particulier un hiver très rude qui a entrainé une famine et a dévoilé au grand jour la faiblesse des dirigeants, incapables de venir en aide à la population.

La deuxième partie concerne à la fois la révolte des gueux , puis une conspiration comme un vent de folie,balayant tout sur son passage et la mutinerie des troupes espagnoles qui saccagent la ville avec la mort de nombreux habitants .

Avant le déferlement des soldats espagnols  Beer a déjà quitté la ville et s'est installé à Amsterdam. , ayant tout perdu , ses amis et son honneur abusé par un homme perfide et rusé qui s'est servi de sa naïveté et de sa complaisance .

Il fuit avec la femme "sauvage" ramenée d'une expédition au grand Nord et logée , ou, devrais-je dire emprisonnée , avec sa fille à l'auberge de Beer qui va organiser des visites pour apercevoir  ce que la plupart des gens appelle des bêtes jusqu'à ce que Beer se donne la peine de regarder cette femme comme un être humain .

Roman foisonnant tant l'histoire de cette période et de cette ville est dense . C'est richement documenté, jamais ennuyeux même si le récit entremêle parfois différentes époques, il faut juste être attentif .

C'est aussi à travers l'histoire d'un homme, l'aubergiste Beer , une leçon d'humilité , d'amitié et de pardon.

"Pour moi, l'acceptation est quelque chose d'absolu, quelque chose qui doit valoir pour le restant de tes jours. Mais là, près du feu, je me suis rendu compte que ça pouvait se limiter à un instant."

J'ai eu , pendant un long moment l'impression de voyager dans les tableaux du peintre Pierre Bruegel , un visionnaire  , qui dans ce roman fréquente l'auberge et entretient des rapports cordiaux avec Beer , cela m'a permis de bien rentrer dans ce siècle en regardant la reproduction de ses toiles .

Je remercie NetGalley et les Éditions Stock
#Lafemmesauvage #NetGalleyFrance

Repost0
26 janvier 2024 5 26 /01 /janvier /2024 14:36
Le banquet des Empouses d'Olga Tokarczuk

En 1902, Mieczyslaw Wojnicz , jeune homme polonais , arrive à Görbersdorf , en Silésie, pour soigner sa tuberculose . Cette ville est connue pour son sanatorium et de nombreux curistes y séjournent.

Wojnicz est hébergé dans une pension tenue par Monsieur Opitz. Elle n'est occupée que par des hommes, plutôt d'un certain âge en dehors d'un jeune homme, Thilo dont la maladie est à un stade avancée.

Les journées s'écoulent paisiblement au rythme des soins, des promenades et des temps de repos en chaise longue .

Seules les soirées à la pension sont animées, les débats entre ces messieurs d'origine, de religion et de pensées bien différentes fusent , accentués par la consommation d'une liqueur locale appelée Swärmerei .

On discute politique, culture, religion , philosophie et souvent des femmes, qui ont toutes un caractère faible et un cerveau plus petit que l'homme, c'est une évidence.

Notre jeune ami se sent plutôt étranger à ces soirées mais apprécie également la boisson qui entraine un état au delà de l'ivresse avec un effet hallucinogène pour lui.

Il évolue entre son passé avec une enfance auprès d'un père exigeant, l'absence de sa mère défunte et une nourrice qui est la seule personne à lui avoir apporté de l'affection et un futur incertain lié d'une part à sa maladie et d'autre part à une malformation qui le confine à une fragilité qu'il ne sait pas contourner et le rend pusillanime .

Règne une nostalgie dans sa langueur qui va de paire avec sa maladie , le spleen des jeunes romantiques...

Il sent autour de lui des présences étranges qui se manifestent la nuit dans le grenier  ou lors de ses balades dans les bois.

Alors, venons-en aux fameuses Empouses , spectres ou démons de la mythologie grecque , filles de la déesse Hécate .

Ce sont elles qui décrivent les personnages par leur apparence vestimentaire en commençant par les chaussures ... On les entend en chœur ponctuant le récit de leurs remarques.

"nous, les Empuses , nous aimons regarder les chaussures "

Dans cette petite ville thermale de Görsberdorf, Wolnicz est alerté par un des pensionnaires de la survenue annuelle d'un meurtre d'un homme jeune , une sorte de rituel dont l'existence est tue et les auteurs sont inconnus .

D'un rythme très lent, le récit s'accélère en toute fin du roman . Les monstres apparaissent mais ne sont pas forcément ceux que l'on imagine et l'épilogue prend une tournure étonnante même si certains indices peuvent orienter.

La lenteur est largement compensée par la peinture ciselée que fait Olga Tokarczuk de cette société d'hommes misogynes où la femme est absente physiquement mais toujours proche dans les esprits .

L'écriture est magnifique et j'ai pris beaucoup de plaisir aux descriptions, tant des hommes que de la nature  .

Le sous-titre de ce livre est : roman d'épouvante naturopathique , je ne sais pas où voulait en venir exactement l'auteure mais en découvrant les soins infligés aux malades phtisiques, on peut frémir ....

Avec un grand merci à NetGalley et aux Éditions Noir sur Blanc

#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance

Repost0
25 janvier 2024 4 25 /01 /janvier /2024 10:43
Fleur de roche de Ilaria Tuti

Peu à peu, les exploits de femmes remarquables font l'objet de récits qui les sortent enfin de l'ombre , et c'est tant mieux.

En 1915, le conflit entre l'Italie et l'Empire austro-hongrois s'étend dans la région montagneuse du Frioul et les combats font rage.

Un officier fait une demande pressante auprès des femmes du petit village de Timau, près de la frontière autrichienne pour apporter des vivres et des munitions aux différents campements dans la montagne.

Agata, Viola, Lucia, Maria, Caterina et les autres , chargent leurs hottes et grimpent livrer le matériel aux soldats.

Les trajets deviennent quotidiens, montant équipements, explosifs, lettres et descendant linge sale et même les corps des soldats pour leur offrir une sépulture décente dans le cimetière du village, tombes qu'elles creusent elles-mêmes.

Entre temps, elles se consacrent à leurs tâches habituelles : enfants, parents malades, travaux des champs et soins aux bêtes ...

Leur courage et leur endurance font l'admiration des officiers et des soldats et elles sont surnommées  " les porteuses ".

Au sein de ce véridique épisode  Ilaria Tuti a inséré l'histoire romancée d'Agata , une jeune femme célibataire, lettrée , qui devient amie avec le commandant de la compagnie qui la traite rapidement en égale , elle met par ailleurs sa vie en péril par conviction pacifiste acquise lors des chocs vécus sur le champ de bataille et ses lignes arrières .

Elle aime les mots et les livres et transforme parfois la violence  des combats , l'effoi des blessés et la froideur de la mort en poèmes épiques, une illusion qu'elle offre à son père mourant et à elle-même pour supporter l'indicible et repousser le désespoir.

Ilaria Tuti fait une description sobre mais suffisamment précise des tranchées, des champs de batailles, des combats, des interrogations des officiers devant la barbarie et devant certains ordres discutables venus des hautes autorités . Comment peut-on rester humain, comment peut-on imaginer revenir à une vie dite normale ?

Et la colère d'Agata prend parfois le pas devant les décisions absurdes des hauts gradés , que reste-t'il en dehors de l'honneur ?

"Brisez vos fusils, rentrez chez vous . Que les lames servent à retourner la terre et que les mains des hommes caressent les joues des enfants et des femmes amoureuses , si fatiguées de tenir sur leurs épaules le poids d'un conflit. "

Son récit est illuminé par la beauté de la nature à travers les différentes saisons , une antinomie entre la noirceur de la guerre et le cycle immuable de la vie.

"La nature palpite de vie, continue de germer et d'engrosser des ventres, tandis que l'homme succombe à son frère. L'aujourd'hui semble être dans l'ignorance de soi. "

Un livre découvert grâce à mon amie NicolaK que je remercie grandement , une passeuse d'histoires !

Repost0